• Climat : les effets pervers des crédits carbone


    La moitié des réductions de gaz à effet de serre financées par un mécanisme onusien seraient fictives, selon des ONG.
    Nouvel accroc dans l'arsenal international de préservation du climat. Selon plusieurs organisations de défense de l'environnement, la moitié des économies de gaz à effet de serre financées dans les pays du Sud sous l'égide des Nations unies, grâce au mécanisme de développement propre (MDP), serait largement fictive et aurait surtout permis à l'industrie chimique d'engranger de substantiels subsides.
    Un milliard de tonnes de CO2 économisées
    MDP : Le mécanisme de développement propre est le principal outil de réduction des émissions de gaz à effet de serre institué par le protocole de Kyoto. Il permet aux pays industrialisés de financer des projets dans les pays en développement, en échange des crédits carbone nécessaires pour atteindre leurs propres objectifs.
    HFC-23 : La destruction ce gaz représente la moitié du milliard de tonnes de crédits carbone que devrait générer le MDP d'ici à 2012. Cet hydrofluorocarbure a un effet de serre 11 700 fois plus puissant que le CO2. Il est émis lors de la production du HCFC-22, un hydrochlorofluorocarbure utilisé comme gaz réfrigérant.
    Investisseurs : On trouve, parmi les acquéreurs de crédits carbone liés aux projets HFC, des industriels dépassant leurs quotas d'émission (centrales électriques, raffineries, aciéries, cimenteries...), les fonds carbone tel celui de la Banque mondiale, et les intermédiaires financiers comme les grandes banques.
    Pire, la méthodologie définie par les Nations unies "augmente les émissions totales au lieu de les diminuer", dénoncent CDM Watch et Noé 21. Cerise sur le gâteau, ces MDP aggraveraient également, indirectement, les atteintes à la couche d'ozone.
    Le comité de méthodologie du secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques devait rendre un avis technique sur le sujet vendredi 25 juin. Déjà, la peur de voir le bureau exécutif des MDP remettre le système à plat lors de sa prochaine réunion, du 26 au 30 juillet, affole les marchés.
    Au coeur de l'affaire : le HFC23, un gaz à effet de serre généré lors de la production d'un gaz réfrigérant très demandé par l'industrie du froid, le HCFC22. La plupart des usines sont implantées en Chine et en Inde, d'autres en Corée du Sud ou en Amérique latine.
    Les infrastructures industrielles de captage et de destruction de ce gaz, 11 700 fois plus nocif que le CO2, sont rapidement devenues le premier vecteur de MDP : la moitié du milliard de tonnes d'équivalent CO2 économisé grâce aux MDP de 2004 à 2012 proviendra de la destruction du HFC23.
    "Il fallait amorcer la pompe des MDP, or c'était des projets plus faciles à mettre en place que ceux liés aux énergies renouvelables ou aux déchets, et rapidement rentables", estime
    Emilie Alberola, chef de projet recherche à la CDC Climat, filiale de la Caisse des dépôts.
    Trop rentables, selon les ONG, qui jugent que la vente aux pays du Nord de crédits carbone liés à l'élimination du HFC23 a créé, pour ces industries du Sud, un effet d'aubaine et des conséquences perverses. "Le prix payé pour la destruction du gaz est jusqu'à 70 fois supérieur au coût réel de l'opération", calcule Eva Filzmoser, directrice de CDM Watch, pour qui il s'agit ni plus ni moins de "crédits bidon".
    Ainsi subventionné par le MDP, le sous-produit est devenu le produit. "Les quantités de HCFC22 et de HFC23 produites apparaissent principalement guidées par la possibilité de générer des crédits carbone", analyse Lambert Schneider, ancien membre du comité de méthodologie des Nations unies.
    Les industriels auraient ainsi artificiellement accru leur production et volontairement maintenu à un niveau élevé le pourcentage de HFC23 généré par le processus. Une bonne partie des gaz à effet de serre détruits grâce à l'argent des crédits carbone n'aurait en fait jamais dû être émis. "On estime que ces abus ont permis à l'industrie de percevoir un milliard de dollars chaque année", relève Chaim Nissim, de Noé 21.
    Au passage, l'incitation créée par le MDP dégrade la couche d'ozone, pour laquelle les HCFC sont très nocifs. Et l'on assiste à la situation absurde dans laquelle un dispositif de l'ONU - le protocole de Kyoto - encourage la production d'un gaz dont un autre dispositif de l'ONU - le protocole de Montréal - demande l'éradication.
    Un échec sur toute la ligne ? Pas tout à fait, nuance Anaïs Delbosc, pour la CDC Climat : "Auparavant, aucune régulation n'obligeait à brûler ces HFC, donc il y a bien une diminution des émissions de gaz à effet de serre, même si ces industriels auraient pu financer eux-mêmes ces mesures si une législation nationale les y avait contraints."
    En attendant d'hypothétiques législations, les ONG ont soumis au comité des méthodologies une proposition de réforme qui réduirait de 90 % les crédits carbone engendrés par ce type de projet.
    Ce possible tarissement inquiète les marchés. "Les investisseurs redoutent que le bureau du MDP n'applique pas seulement la nouvelle méthodologie aux futurs projets, mais impose une forme de rétroactivité : il a le pouvoir de bloquer les émissions de crédits sur les projets HFC déjà approuvés", explique Emmanuel Fages, analyste carbone chez Orbeo. Des dizaines de millions de titres attendus par les marchés pourraient ainsi ne jamais arriver. Signe de cette fébrilité, "le prix de ces crédits carbone sur les marchés à terme a commencé à monter de manière spectaculaire depuis quelques jours", observe l'analyste.
    Les investisseurs ne semblent pas s'émouvoir en revanche du risque de financer de fausses réductions des émissions. Le 18 juin, l'International Emissions Trading Association, qui représente les acteurs du marché du carbone, a simplement dénoncé "la nature politique du débat et la pression qu'une telle politisation fait peser sur le régulateur".
    Grégoire Allix
    Article paru dans l'édition du 26.06.10


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