• Bastamag par Sophie Chapelle (17 décembre 2010)

    Ils n’attendaient rien de Cancún ou si peu. L’enjeu pour les participants était de sauver un processus de négociations plombé un an plus tôt à Copenhague. Dès lors, tout valait mieux que l’absence d’accord. C’est donc dans une ambiance survoltée, ou plutôt théâtrale, que 193 pays – à l’exception de la Bolivie – se sont mis d’accord dans les dernières heures sur un texte qui ne fait qu’entériner Copenhague. Déroulé en cinq actes.
    Chez tous les négociateurs la crainte était forte de partir de Cancún sans accord. Le fiasco de la conférence de Copenhague en décembre 2009 résonnait encore dans toutes les têtes. Paul Watkinson, chef de la délégation française dans les négociations climatiques, témoigne qu’« après Copenhague, le risque était très élevé de s’enfermer dans Cancún avec un deuxième échec ». Mais les séances plénières qui se déroulent dans la dernière nuit des négociations, du 10 au 11 décembre, vont donner le ton : tout vaut mieux que l’absence d’accord.
    Alors que l’ensemble des participants ont dans leurs mains les dernières versions des textes (à lire en anglais ici et ici), ils accueillent sous une salve d’applaudissements Patricia Espinosa, la présidente de la Conférence. Il faut voir là, selon Pierre Radanne, président de l’association 4D, « la reconnaissance de la méthode mexicaine par l’engagement à écouter jusqu’au bout le point de vue de chacun et à gérer l’information et les négociations dans la transparence la plus grande ».
    À ce moment-là pour l’assemblée présente, le processus de cette conférence est déjà une première victoire. « Le rôle des Nations unies et le multilatéralisme sortent renforcés de Cancún », se réjouit ainsi Paul Watkinson. Dans ces conditions, les critiques à cette heure avancée de la nuit sont malvenues dans l’enceinte onusienne. Et lorsque la Bolivie intervient en premier par la voix de Pablo Solon pour exprimer ses craintes sur l’accord en voie d’être conclu, c’est un silence glacial qui ponctue son discours.

    Acte 1, une unité de façade
    Critiquant l’objectif trop faible d’une augmentation des températures limitée à 2°C, l’absence d’engagement contraignant des pays industrialisés en termes de réduction d’émissions, l’inconnue sur les sources de financement du fonds d’adaptation au changement climatique, la Bolivie conclut par son rejet du document. Au sein du Moon Palace, l’hôtel de luxe qui accueille la conférence, l’isolement de la Bolivie va atteindre des sommets. Dans la foulée de son intervention, tous les pays, du Nord au Sud, expriment leur soutien aux deux textes. « Paquet équilibré », « engagements », « pragmatisme », reviennent tour à tour dans les discours du Lesotho, du Kenya, du Pérou, de la Suisse, de l’Union européenne, du Sénégal, des Maldives...
    Emblématique : les discours des États-Unis et de l’Arabie Saoudite, ambassadeurs en chef du tout pétrole, sont noyés sous les applaudissements. Même le Japon, qui avait douché les espoirs en annonçant son refus de s’engager dans une seconde période du Protocole de Kyoto, est acclamé lorsqu’il se range derrière le texte proposé. La Norvège joue enfin aux conciliateurs expliquant que « beaucoup partagent les préoccupations de la Bolivie, mais que celles-ci pourront être traitées dans les années à venir ». Nul besoin ainsi de s’en faire puisque « ce n’est pas l’accord final mais une étape majeure dans la bonne direction ».

    Acte 2, repousser à plus tard
    Étrangement, cette « bonne direction » saluée par l’ensemble des parties, à l’exception de la Bolivie, ressemble à s’y méprendre à « l’accord de Copenhague » tant décrié un an plus tôt. « Le résultat est un "Cancún-hagen" qui menace la vie du protocole de Kyoto », déplore Ricardo Navarro des Amis de la terre du Salvador. Alors que le protocole de Kyoto est le seul outil juridique contraignant qui limite les émissions de gaz à effet de serre (GES) et que son premier cycle d’engagements prend fin en 2012, aucun calendrier n’a été fixé pour renouveler les objectifs de réduction des pays industrialisés. Libre également aux pays de choisir l’année de référence pour les calculs de leurs engagements. « En ce sens, relève l’association altermondialiste Attac, l’accord de Cancún se révèle être le prolongement juridique du texte de Copenhague ».
    Prière de ne pas jouer aux oiseaux de mauvaise augure explique t-on du côté de la délégation française. « Nous n’avons pas tué ni abandonné Kyoto à Cancún, martèle Paul Watkinson. D’ici la prochaine conférence des parties à Durban en décembre 2011, il nous faut réussir à associer la Russie et le Japon à ce cadre. » Rendez-vous donc dans un an. Les populations affectées par le changement climatique, elles, attendront.

    Acte 3, le déluge
    Après la vague climatosceptique qui s’est abattue en 2010, le texte adopté à Cancún apporte une reconnaissance des travaux scientifiques menés par les membres du GIEC, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat. Le texte prévoit en effet de revoir « périodiquement » les objectifs à long terme – la limite est fixée dans le texte à une augmentation de 2°C – en fonction des connaissances scientifiques et en particulier des rapports du GIEC, avec la possibilité de renforcer cet objectif à 1,5°C.
    Cette référence aux 2°C ne s’appuie néanmoins sur aucun objectif chiffré en matière de réduction des émissions. Et c’est là que le bât blesse ! Quant à la référence aux pays industrialisés devant réduire leurs émissions de 25 à 40% d’ici à 2020 par rapport à 1990, elle n’implique pas les États-Unis, ces derniers n’étant pas signataires du protocole de Kyoto. La conclusion de Ricardo Navarro est sans appel, « l’accord de Cancún menace la vie de l’humanité car si ses résultats sont mis en œuvre, nous vivrons d’ici à la fin du siècle une augmentation mondiale des températures de 5°C rendant la Terre inhabitable ».
    Difficile dès lors de se laisser bercer par les paroles de Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, qui voit à Cancún « une avancée importante ». Comme le rappelle l’ONG Greenpeace, « elle n’a pas voulu s’associer à ses homologues européens (espagnol et portugais) qui ont annoncé à Cancún leur soutien au passage de 20% à 30% de l’objectif européen de réduction des émissions d’ici à 2020. La France, par la voix de NKM, a choisi de freiner les ambitions climatiques de l’Europe. »

    Acte 4, un accord vidé de sa substance
    Et si l’accord issu de Cancún n’était finalement qu’un joli paquet cadeau avec une boîte presque vide ? C’est l’interrogation portée par Sébastien Blavier du Réseau Action Climat-France (RAC). Certes, un fonds vert pour aider les pays les plus vulnérables aux changements climatiques a été créé. « Un point positif en terme de solidarité internationale, note à ce sujet Anne Chetaille du Groupe de recherche et d’échanges technologiques Gret car la gouvernance de ce fonds sera équitablement répartie entre pays développés et en développement  ». Mais quid du financement ? « Nous n’avons pas dit pour le moment d’où viendrait l’argent, reconnaît Paul Watkinson. Mais l’objectif est là, mobiliser au moins 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 ». Et de proposer d’« en parler dans le cadre du G8-G20 lors de la présidence française en 2011 ».
    De quoi faire grincer des dents l’association Attac déjà en rogne de voir la Banque mondiale servir d’administratrice intérimaire pour le Fonds vert durant trois ans. Alors qu’aucun financement public nouveau n’a été retenu, les taxes sur le transport maritime et aérien ayant été rejetées, la majorité des financements pourrait venir des marchés du carbone. À ce titre, le rapport Quai des Brumes du RAC-France vient jouer les trouble-fêtes en montrant comment l’aide française déjà promise il y a un an à Copenhague est « artificiellement gonflée ». Pour le moment, un fonds existe mais sans rien à partager.

    Acte 5, pas de voix au chapitre pour les populations concernées
    Réduire la déforestation était l’un des objectifs visés par Cancún. Le système de compensation pour lutter contre la déforestation est désormais officiellement mis en place. L’idée consiste à amener les pays qui abritent de précieuses forêts tropicales à éviter de les couper et à les protéger, en leur versant des compensations financières. Le texte pose ainsi l’objectif de « ralentir, arrêter et inverser la perte du couvert forestier », à l’origine de 15 à 20% des émissions mondiales de GES. Là encore le financement n’est pas précisé, même si la possibilité d’utiliser le marché du carbone pour financer le mécanisme est pour le moment éludée au grand dam des industriels.
    Dans le texte final, ce sont aussi les populations autochtones et les communautés locales vivant des forêts qui ont été évincées. Leurs représentants exigeaient que le texte contienne une « clause de sauvegarde » qui impose « le consentement libre, préalable, et informé » des communautés autochtones à la mise en œuvre de mesures pour lutter contre la déforestation. Au bout du compte, l’accord prévoit seulement « la participation » des parties impliquées, dont les populations autochtones, dans la gestion de la forêt mais avec des mécanismes de contrôle plutôt faibles.
    Finalement, entre les deux mondes, celui du Moon Palace et celui de la rue, le fossé semble chaque jour s’agrandir. Entre les deux, la Bolivie, pointée d’un côté comme l’idéologue bloquant les négociations, est de l’autre perçue comme la voix des mouvements sociaux. D’ici à Durban en 2011, prochaine conférence des Nations unies, les négociateurs vont reprendre leurs négociations, les ONG leur lobbying, heureux que le processus onusien puisse poursuivre sa route. Un processus en vie oui, mais un processus toujours plus affaibli.

    Sophie Chapelle




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  • Journal de l'environnement 13 décembre 2010 par Valéry Laramée de Tannenberg
     
    Le sommet de Cancun s'est finalement achevé sur un succès
    Sans surprise, la conférence des parties à la convention sur les changements climatiques a adopté un texte de consensus. Reprenant les grandes lignes de l’accord de Copenhague, celui-ci fixe aussi des obligations aux pays en développement.
    Contrairement à celui de Copenhague, il y a un an, le sommet climatique de Cancun s’est achevé par une standing ovation. Debout, les délégués des 190 pays représentés ont acclamé samedi 11 décembre Patricia Espinosa, la ministre mexicaine des affaires étrangères et, à ce titre, présidente de la conférence. Car, de la 16e conférence des parties à la convention de l’ONU sur les changements climatiques (COP 16) et 6e conférence des parties au protocole de Kyoto (MOP 6), on retiendra qu’elle s’est terminée sur un… succès.
    Négocié par la diplomate zimbabwéenne Margaret Mukahanana-Sangarwe, le texte de consensus, adopté par la conférence (à l’exception de la Bolivie), promet effectivement quelques avancées.
    Précaution probablement pas inutile en période de crise économique, il est rappelé aux pays les plus industrialisés qu’ils se sont engagés à Copenhague à verser, collectivement, 30 milliards de dollars (22,4 milliards d’euros) aux pays les moins avancés (PMA) d’ici 2012. Baptisés « fast start », ces financements additionnels doivent aider les PMA à réduire leurs émissions et à préparer des stratégies d’adaptation. A partir de 2020, les nations les plus riches devront verser 100 milliards $ (74,67 milliards €) par an pour subvenir aux besoins climatiques des pays en développement.
    L’accord de Cancun donne aussi corps au système Redd + : un mécanisme permettant aux pays forestiers, luttant efficacement contre la déforestation, de générer des crédits d’émission, cessibles sur un marché. La déforestation est réputée être à l’origine de 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
    Engendré à Copenhague, le « fonds vert », destiné à recueillir et à administrer les fonds dédiés aux actions climatiques des pays les plus démunis, a vu le jour à Cancun. Ce Green Fund doit, en principe, être doté de 100 milliards $.
    Autre institution nouvelle : le comité de l’adaptation. Il sera en charge de la coordination des politiques nationales d’adaptation aux conséquences des changements climatiques. Il devra notamment aider les pays les plus pauvres à accéder à de nouvelles ressources d’eau douce, à renforcer leur système de santé et leur sécurité alimentaire et à protéger les écosystèmes lacustres et marins.
    A ses côtés, si l’on peut dire, sera constitué un comité exécutif de la technologie, chargé de faciliter les transferts de techniques et de technologies des pays du Nord vers ceux du Sud. « C’est historique, témoigne Christina Figueres, la secrétaire exécutive de la convention sur les changements climatiques, c’est la première fois que les pays s’accordent un tel jeu d’instruments et d’outils qui vont permettre aux pays en développement, notamment, de réduire leurs émissions et de s’adapter aux conséquences du changement climatique. »
    Voilà pour les pays les plus industrialisés. Mais, cette fois, les pays émergents et en développement ne s’en sortent pas « indemnes ». Si le texte reconnaît, comme la convention de l’ONU de 1992 d’ailleurs, la responsabilité historique des nations les plus riches dans la situation climatique actuelle, il n’exonère pas pour autant les pays en développement du moindre effort. Ainsi, comme l’accord de Copenhague le leur demandait déjà, ces derniers devront enfin comptabiliser leurs émissions et rendre leur rapport public. Dans la foulée, ils devront aussi mettre en œuvre des actions nationales « et appropriées » pour abattre, d’ici 2020, leurs émissions par rapport à un scénario « business as usual ».
    Tenu par le secrétariat exécutif de la convention, un registre de ces actions nationales sera ouvert. A charge pour les pays en développement de l’alimenter en informations, s’ils souhaitent, bien sûr, bénéficier des financements multilatéraux. Ces actions devront faire l’objet d’un contrôle international pour vérifier non seulement leur réalité mais aussi leur additionnalité, c’est-à-dire leur caractère bénéfique pour le climat. Des obligations qui n’ont pas l’heur de déplaire aux représentants des grands émergents. S’exprimant au nom des Basic (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine), le ministre indien de l’environnement s’est dit « très heureux de ce texte ». L’irascible Jairam Ramesh retenant surtout de l’accord de Cancun les rappels à l’ordre financier lancés aux nations les plus riches et les facilités faites aux transferts de technologies propres et sobres.



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  • LEMONDE.FR avec Reuters, AFP | 11.12.10 | 09h13 

    Les 200 pays rassemblés sous l'égide de l'ONU à Cancun ont adopté, samedi 11 novembre, un texte déclinant une série de mécanismes pour lutter contre le changement climatique, qui prévoit notamment la création d'un Fonds vert pour aider les pays en développement. Cet accord, salué par l'écrasante majorité des délégations, intervient après douze jours de négociations et débloque en partie une situation qui n'avait guère évolué depuis le fiasco de la conférence de Copenhague, il y a près d'un an.
    Une des principales avancées prévue par l'accord de Cancun est la création d'un Fonds vert qui permettra aux pays en développement de s'adapter au changement climatique. Cette proposition, soutenue par le Mexique, hôte de la conférence, doit également favoriser la protection des forêts tropicales et les partage des technologies propres comme le solaire ou l'éolien. Placé sous l'égide temporaire de la Banque mondiale, cet organisme distribuera une partie de l'argent promis par les pays développés dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, à savoir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Les nombreuses interrogations sur la façon dont ce fond sera alimenté restent cependant sans réponse.
    L'accord de Cancun "ouvre une nouvelle ère pour la coopération internationale sur le changement climatique", a déclaré la ministre des affaires étrangères mexicaine, Patricia Espinosa, copieusement applaudie par les délégués présents en séance plénière.  "Vous avez restauré la confiance de la communauté internationale dans le multilatéralisme", lui a lancé le ministre de l'environnement indien, Jairam Ramesh. Pour la ministre française de l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, "on sauve de la faillite le système multilatéral de négociations sur le changement climatique".

    STATU QUO SUR KYOTO
    En contrepartie de ces avancées, les pays présents à Cancun se sont résolus à maintenir le statu quo sur le protocole de Kyoto, seul texte juridiquement contraignant sur le climat existant à ce jour. Selon les termes de l'accord, les signataires s'accordent pour repousser à 2011 les négociations sur l'avenir du protocole, sans prendre d'engagement de le prolonger au-delà de son terme. Sa première phase d'engagements expire en 2012, et de nombreux pays ont prévenu qu'ils ne prolongeraient pas le protocole, exigeant un nouveau traité incluant les autres pays émetteurs de gaz à effet de serre, à commencer par les Etats-Unis, la Chine et l'Inde.
    A Cancun, l'accord a été adopté en dépit de l'opposition de la Bolivie, seul pays à s'être prononcé contre le texte. Le négociateur bolivien Pablo Solon a regretté que la règle du consensus, jusqu'ici respectée, ait été bafouée, qualifiant la situation de "précédent funeste". "La règle du consensus ne signifie pas l'unanimité, ni qu'une délégation puisse prétendre imposer un droit de veto sur une volonté qui avec tant de travail a été accomplie", a répondu Mme Espinosa. "Il y aura probablement une note de bas de page disant que la Bolivie l'a contesté", a résumé Jake Schmidt, de l'ONG Conseil de défense des ressources naturelles (NRDC).



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  • Journal de l'environnement 24 novembre 2010 par Valéry Laramée de Tannenberg

    Pendant que les négociateurs négocient, les émissions s'accroissent.

    Alors que s’ouvre, lundi, un nouveau round de négociations climatiques, les émissions de gaz à effet de serre ne baissent pas. Bien au contraire.
    Mardi 23 novembre, l’équipe française des négociateurs Climat a fait montre d’un certain optimisme. Devant un parterre de journalistes spécialisés, Brice Lalonde a estimé qu’un accord pourrait être conclu, lors du sommet climatique qui s’ouvre lundi prochain à Cancun. « Nous pouvons obtenir un jeu de décisions portant sur des éléments provisoires et partiels. En attendant un accord plus complet qui pourrait être conclu lors de la réunion de Durban (COP 17-MOP 7) en 2011 », a indiqué l’ambassadeur en charge des négociations Climat.
    Interrogé par le Journal de l’Environnement, Todd Stern est à peu près sur la même longueur d’onde. « Je ne crois pas que nous résoudrons tous les problèmes à Cancun. Mais je suis très optimiste quant à la possibilité de nous entendre sur un paquet de décisions. Il ne s’agira pas d’un traité mais d’avancées pragmatiques », explique l’envoyé spécial du président Obama sur les questions climatiques.
    Politiquement, donc, la COP 17-MOP 7 se présente sous de bons augures. Climatiquement, en revanche, la situation s’avère plus désastreuse que jamais. Coup sur coup, trois études publiées ces dernières heures rappellent le caractère terriblement inconfortable de notre situation.
    Malgré la récession qui frappé les grandes économies et la crise qui en ralentit toujours certaines, les émissions de gaz à effet de serre ne cessent de progresser. Dans la dernière édition de Nature Geoscience, un collectif de climatologues rappelle que si les rejets carbonés mondiaux, imputables à la combustion des hydrocarbures et au secteur cimentier, ont diminué de 1,3 % entre 2009 et 2008, la suite devrait être nettement moins verte. Selon les calculs de l’équipe internationale, coordonnée par le Français Pierre Friedlingstein (université d’Exeter), au rythme actuel, les émissions anthropiques de CO 2 devraient progresser de 3 % en 2010.
    Conséquence : la concentration de GES dans l’atmosphère explose. Publié mercredi, le Bulletin de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) sur les GES pour 2009, les principaux GES ont atteint leurs plus hauts niveaux jamais observés depuis l’époque préindustrielle. Le forçage radiatif total, induit par l’ensemble des GES, a augmenté de 27,5 % entre 1990 et 2009 et de 1 % entre 2008 et 2009, ce qui reflète l’accroissement des teneurs en dioxyde de carbone, en méthane et en oxyde nitreux de l’atmosphère. « Les concentrations de gaz à effet de serre ont atteint des niveaux records malgré le ralentissement de l’activité économique », se désole Michel Jarraud, secrétaire général de l’OMM.
    L’avenir s’annonce-t-il meilleur ? Rien n’est moins sûr. Un volumineux rapport, publié mercredi par le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) fait le point sur les effets des engagements volontaires de réduction d’émissions pris par 85 pays à la suite de la conclusion de l’Accord de Copenhague, en décembre dernier.
    Les conclusions sont inquiétantes. L’accord de Copenhague rappelle que la température globale moyenne ne devra pas s’élever de plus de2°C(par rapport à l’ère pré-industrielle), faute de quoi le climat mondial pourrait entrer dans une phase dangereuse. Pour s’y tenir, les émissions anthropiques mondiales de GES doivent atteindre un maximum de 44 milliards de tonnes (Gt) par an d’ici 10 ans, avant de décliner.
    Actuellement, le Pnue estime à 48 milliards de tonnes nos rejets annuels de GES. Si les politiques « copenhaguiennes » sont suivies à la lettre, ces rejets attendront tout de même 49 Gt en 2020. Soit 5 Gt de trop. Cela étant, si nous ne faisons rien, l’atmosphère s’enrichira, chaque année de 56 Gt de GES. Plus que jamais, l’objectif des « 2°C » s’avère totalement hors de notre portée. Quoi qu’il se passe à Cancun.


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  • Chine : nouvelle impasse au sommet de l'environnement à Tianjin
    La Chine a accueilli pendant une semaine un sommet mondial sur l'environnement. Une dernière étape avant Cancun le mois prochain. Une nouvelle fois, les participants ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur un projet global de réduction des gaz à effet de serre.
    Œil pour œil, dent pour dent. Pendant une semaine, la Chine et les Etats-Unis se sont rendu coup pour coup. Un affrontement à peine voilé entre les deux plus gros pollueurs de la planète. La Chine dénonçant l’inaction des Etats-Unis et Washington fustigeant le double discours de Pékin et son refus d’un contrôle de ses émissions de gaz à effet de serre. Spectateurs, les autres délégués sont restés impuissants : « Ce n’est pas en construisant un bloc ‘pays développés’ contre ‘pays en voie de développement’ que nous parviendrons à un accord », explique agacé un délégué Africain. Plus diplomatique, la déclaration de Dessina Williams, déléguée de la Grenade et présidente de l’Alliance des petits Etats insulaires : « Nous demandons à ces grands acteurs puissants (ndlr. La Chine et les Etats-Unis) d’agir de façon urgente et coordonnée, car ce sont nous, les pays les plus pauvres, qui souffrons de cette crise liée au changement climatique ». Ce « G2 climatique » a laissé les autres participants circonspects et frustrés. « Nous souffrons le plus des effets néfastes du changement climatique, explique Taukei Kitara, une environnementaliste des îles Tuvalu. Alors bien sûr ce résultat est très décevant ». Chacun se renvoie donc la balle et fait porter aux autres la responsabilité de ce nouvel échec. Inquiétant, à un mois du sommet de Cancun.

    Les pays développés responsables

    C’est la première fois en plus de 20 ans de négociations internationales sur le climat que la Chine est l’hôte d’une telle réunion. L’occasion était donc trop belle pour ne pas en faire le symbole de la montée en puissance de Pékin et, au-delà, affirmer son rôle de porte-parole des pays en voie de développement. « La Chine a tenté de nous séduire pendant toute la semaine, témoigne l’un des 3000 participants qui préfère rester anonyme. Elle a déroulé le tapis rouge pour nous et de façon pas toujours très habile a cherché à nous rallier à sa position ». Sa position ? Selon Pékin, les pays développés sont responsables de la plupart des émissions industrielles de gaz à effet de serre et doivent donc prendre des engagements pour limiter leurs émissions d’ici 2020. La Chine plaide pour un mécanisme qui permettrait aux pays en développement de poursuivre leur croissance, donc de polluer plus que les pays du Nord. Pékin reste fidèle au protocole de Kyoto et, surtout, s’oppose à tout contrôle de ses émissions de carbone.
    « La Chine a vraiment raté une opportunité d’être plus proactive dans les débats. Elle a montré une confiance inhabituelle, sans doute parce qu’elle accueillait ce sommet. Pourtant on doit reconnaître, qu’elle fait de réels efforts pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Dommage que les débats aient dérapé sur le terrain politique », regrette Yang Ailun de Greenpeace.

    Le « Davos chinois »

    Ironie du calendrier, la Chine avait choisi la ville de Tianjin pour organiser le sommet quelques jours à peine après en avoir fait la capitale du Forum économique mondial. Tianjin et ses 200 multinationales, ses lignes de montage d’Airbus et son port en eau profonde. Tianjin, vitrine de la Chine qui gagne, n’aura pas sauvé l’environnement.
    « Vous avez sans doute été impressionné par Tianjin, Pékin et Shanghai, explique entre deux réunions Xie Zhenhua, un délégué chinois. Mais n’oubliez jamais que la Chine est un pays avec de vastes provinces encore très pauvres. Le Centre et l’Ouest de la Chine n’ont rien à voir avec la ville que vous voyez ici». Un argument censé étayer le désormais célèbre principe défendu par la Chine de « responsabilité différenciée ». Un peu court, selon Artur Runge-Metzger, le chef de la délégation européenne, pour qui la Chine et l’Inde doivent prendre leur part de responsabilité. « Il est indispensable que les grandes puissances soient davantage flexibles, a exhorté Christiana Figueres, la chef de l’ONU sur le climat. Il est essentiel que la Chine montre le chemin si l’on veut parvenir à un consensus ».
    « D’un côté nous pouvons dire que c’est un progrès, parce que tous les points de vue ont été prix en compte. Mais d’un autre côté bien sûr, nous ne sommes parvenus à aucun accord », souligne un délégué chinois. « Au mieux nous sommes parvenus à réduire de 70 à 60 pages le texte final qui sera présenté à Cancun ».
    Dans ces négociations au forceps, seules deux avancées majeures : la mise en place d’un « fonds vert pour l’environnement » afin d’aider les pays pauvres à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre – un fonds de 30 milliards de dollars financé par les pays riches et qui sera porté à 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 ; et un plan de lutte contre la déforestation. Rien ne semble donc avoir changé depuis Copenhague, et chacun campe sur ses positions sur fond d’affrontements entre pays riches et pays pauvres. « Les pays développés sont sommés d'agir », titrait ainsi au lendemain de la clôture le China Daily. Le quotidien officiel en langue anglaise faisant porter la seule responsabilité de l’échec aux pays développés. L’échec est patent, mais la rhétorique chinoise n’a pas évolué.
    Stéphane Pambrun, envoyé spécial à Tianjin

    Mis en ligne le : 11/10/2010
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