• Climat : la tension monte au sujet de millions de crédits carbone "bidons"

    Le Monde 30.08.10 | 12h43

    Les Nations unies sont-elles en train de reconnaître l'existence d'une énorme faille dans le mécanisme de développement propre (MDP) ? En moins d'un mois, six usines asiatiques ont vu leurs allocations de crédits carbone gelées par l'ONU, le temps de vérifier si ces industries ont abusé ou non du MDP, le principal dispositif du protocole de Kyoto permettant à des pays du Nord de financer des réductions d'émissions de gaz à effet de serre dans les pays du Sud, en échange de quotas de CO2.
    Au moment où la négociation internationale sur le climat doit décider de l'avenir du protocole de Kyoto et engage les nations industrialisées à accélérer leur aide aux pays pauvres, l'affaire fait désordre. Au point que le débat technique a pris un tour très politique.
    Les installations suspectes concernent toutes la combustion du HFC23, un puissant gaz à effet de serre issu de la fabrication du gaz réfrigérant HCFC22. A eux seuls, les dix-neuf sites de destruction du HFC23 produisent la moitié des crédits carbone du MDP. Problème : selon des organisations non gouvernementales, le calcul retenu par les Nations unies, trop généreux, a conduit l'industrie chimique à gonfler artificiellement la production de HCFC22 et de HFC23. La plupart de ces crédits seraient en fait "bidon".
    FÉBRILITÉ
    Saisi du dossier, fin juillet, le bureau exécutif du MDP n'a pas officiellement condamné le mécanisme. Mais, alarmé par ses propres experts, il a visiblement décidé de le mettre en pause, y compris pour les projets déjà approuvés.
    L'arrêt pourrait être long : les Nations unies exigent désormais, avant de distribuer les crédits carbone, de pouvoir vérifier pour chaque usine dix années de données techniques et commerciales. En tout, plus de 9 millions de titres d'émission attendus par le marché sont déjà bloqués, peut-être définitivement. Et ce n'est qu'un début : toutes les demandes à venir devraient être ainsi suspendues. De quoi plonger le marché du carbone dans une certaine fébrilité.
    "Cela a un impact très fort : on s'attend à 30 à 40 millions de crédits en moins d'ici à la fin de l'année, estime Emmanuel Fages, analyste carbone chez Orbeo. D'ici à 2012, le gel des HFC23 pourrait représenter jusqu'à 150 millions de crédits carbone en moins sur un total de 900 millions attendus via le MDP." Logiquement, cette raréfaction des permis d'émission a fait bondir le prix des crédits issus du MDP de 10% en dix jours, entraînant à sa suite le prix des quotas européens, vers lesquels se replient les opérateurs.
    Surtout, l'affaire est devenue l'objet d'une polémique entre institutions internationales. La Banque mondiale a créé la surprise en se posant en défenseur des projets HFC23, sans même attendre les résultats de l'enquête onusienne. Dans un document publié sur son site Internet, l'institution balaye une à une les critiques et les doutes. Avant de conclure que "la méthodologie d'incinération du HFC23 ne devrait pas être suspendue" et qu'une éventuelle révision "devrait s'appuyer sur les conseils de l'industrie et des experts du secteur".
    UN SYSTÈME FRAGILE
    Cet argumentaire a été vivement critiqué par les ONG Environmental Investigation Agency, CDM Watch et Noé21, qui dénoncent un "conflit d'intérêt". La Banque mondiale a en effet investi, en 2006, dans deux des plus gros projets d'incinération de HFC23 en Chine – dont l'un vient d'être gelé par l'ONU –, déboursant, via son fonds Umbrella Carbon Facility, 775millions d'euros pour 130millions de crédits, dont beaucoup ne lui ont pas encore été délivrés.
    Le 25 août, c'est la commissaire européenne au climat, Connie Hedegaard, qui envenimait la polémique. "J'ai demandé à mes services de préparer de nouvelles restrictions à l'usage des crédits liés aux gaz industriels après 2012", a indiqué la commissaire, qui souhaite "une révision majeure" du MDP.
    En clair, des critères de qualité plus exigeants que ceux de l'ONU pourraient être imposés par l'Europe avant d'autoriser l'entrée des crédits carbone du MDP dans le système communautaire d'échange de quotas d'émission. Une proposition pourrait être finalisée avant la conférence sur le climat de Cancun (Mexique), fin novembre, et soumise au Parlement européen. La décision serait lourde de conséquences : l'Europe reste la locomotive du marché mondial du carbone.
    Face à ces menaces sur la principale source de permis d'émission, la Banque mondiale agite le spectre d'un effondrement de l'économie du carbone : "Les réductions d'émissions de gaz à effet de serre générées par les projets HFC23 sont cruciales pour créer de la liquidité dans le marché du carbone." Protéger des crédits douteux pour ne pas ébranler le dispositif de lutte contre le changement climatique : l'hypothèse révèle à elle seule combien le système est fragile.

     

     


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