• Climat : l’AIE fait montre de pessimisme

    Journal de l'environnement 09 novembre 2010

    L’Agence internationale doute désormais que la communauté internationale puisse limiter le réchauffement climatique à 2°C.
    L’événement est attendu. Chaque année à pareille époque, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publie son rapport de prospective énergétique. Volumineux pavé (plus de 730 pages, cette année), le World Energy Outlook (WEO) est devenu, au fil des ans, la bible des économistes de l’énergie du monde entier. C’est sans doute pour cela que l’institution parisienne présente son rapport annuel à Londres.
    Que dire de l’édition publiée ce mardi matin, 9 novembre ? Une chose essentielle. Après avoir conseillé, ces dernières années, les gouvernements de ses 28 pays membres sur les meilleurs moyens de sécuriser leur approvisionnement énergétique et d’alléger leur empreinte carbone, l’AIE ne semble plus y croire. Et elle a de bonnes raisons pour cela.  
    Fort opportunément, les rapporteurs rappellent que l’Accord de Copenhague, conclu dans la douleur en décembre dernier, a fixé l’objectif de limiter à 2°C le réchauffement de la température moyenne globale par rapport à l’ère pré-industrielle. Pour les climatologues, la traduction de cet objectif est simple : la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ne doit pas dépasser les 450 parties par million par volume (ppmv). Or nous frôlons actuellement une concentration de 400 ppmv et, au rythme actuel, la limite fatidique pourrait être atteinte entre 2015 et 2020.
    Parmi les signataires du texte danois, 85 pays ont pris des engagements de réduction d’émission, souvent ambitieux. Mais très insuffisants au regard de l’enjeu. « Si les pays donnent prudemment suite à ces engagements […] la demande grandissante de combustibles fossiles continue d’accroître les émissions de CO 2 liées à l’énergie pendant toute la période considérée. Il serait alors impossibles d’atteindre l’objectif de 2°C », martèle l’AIE.
    En admettant que les pays industrialisés, émergents et en développement, infléchissent leur dynamique de développement, comme ils s’y sont engagés, les émissions mondiales passeraient tout de même de 29 milliards de tonnes de CO 2 en 2008, à 34 milliards de tonnes en 2020. Traduction : une concentration de GES de 650 ppmv « qui entraîne à long terme une hausse probable de la température supérieure à 3,5°C. »
    Que faudrait-il faire pour rester dans les clous fixés par la Feuille de route de Bali, en 2007 ? Depuis des années, l’AIE ne cesse de répondre à la question.
    En premier lieu, l’institution dirigée par Nobuo Tanaka préconise de supprimer les subventions aux combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole). Souvent instaurées pour de raisons sociales, elles ne sont pas sans inconvénients : « Les subventions qui abaissent artificiellement les prix de l’énergie encouragent le gaspillage, exacerbent la volatilité des prix en brouillant les signaux du marché, incitent au frelatage et à la contrebande de carburants, tout comme elles nuisent à la compétitivité des énergies renouvelables et des technologies énergétiques à haut rendement. »
    Les Etats ont d’ailleurs pris conscience de ces dégâts collatéraux. Entre 2008 et 2009, le montant de ces subventions est passé de 512 milliards de dollars (368,64 milliards d’euros) par an à 312 milliards. Leur suppression totale réduirait de 5 % la consommation d’énergie primaire (l’équivalent de ce que consomment le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande) et abaisserait les émissions de GES de 2 milliards de tonnes par an, à l’horizon de 2020. Le tout en gonflant le portefeuille des argentiers de la planète.
    Et cet argent pourra être utilisé de manière constructive. Pour développer les énergies renouvelables (ENR), par exemple. Ces énergies vertes « auront le rôle essentiel de placer le monde sur une trajectoire énergétique plus sûre, plus fiable et plus durable, écrivent les experts de l’AIE. Le potentiel est incontestablement vaste, mais le rythme auquel la contribution de ces ressources augmentera pour répondre aux besoins énergétiques mondiaux dépendra, de façon décisive, de la vigueur avec laquelle les pouvoirs publics agiront en faveur des énergies renouvelables. »
    Le montant de la facture est, il est vrai, assez lourd. Si l’on veut que les ENR produisent, par exemple, autant d’électricité que les centrales au charbon, en 2035 (30 % environ), il faudra investir 5.700 milliards $ (4.104 milliards €) au cours des 25 prochaines années : 18 années de subventions aux « fossiles » !
    En parallèle, l’AIE recommande chaudement l’application à la lettre de son « scénario 450 ». En clair, il s’agit de tout faire pour décarboner notre développement : accroissement de l’efficacité énergétique, retrofit des centrales thermiques, développement des ENR et des agrocarburants, augmentation du parc nucléaire, généralisation du stockage géologique du gaz carbonique.
    Ensemble, ces techniques, dont la plupart sont matures, permettrait de limiter à une vingtaine de milliards de tonnes les émissions anthropiques annuelles de dioxyde de carbone. Soit deux fois moins qu’en laissant faire les seules forces du marché. Cela va-t-il coûter cher ? Oui, mais tout est relatif.
    Selon l’AIE, le montant de l’investissement pour améliorer, en 25 ans, notre système énergétique est estimé à 33.000 milliards $ (23.760 milliards €), dont la moitié sera consacré au secteur électrique. La mise aux normes carbone représente un investissement supplémentaire de 18.000 milliards $ (12.960 milliards €). Chaque année, il faudrait donc décaisser quelques 2.000 milliards $ (1.440 milliards €) pour décarboner notre système énergétique. Ce qui ne représente après tout que trois fois le budget militaire annuel américain.
    Lancer de telles campagnes d’investissement apparaît relativement rentable pour les gouvernements. Certes, avec l’amélioration de la performance énergétique, ils perdront des recettes fiscales (TVA sur les carburants et combustibles). Mais en donnant systématiquement un prix au carbone, les caisses pourraient se remplir à nouveau. Si les seuls pays membres de l’OCDE mettaient aux enchères les quotas de CO2, les revenus ainsi générés pourraient flirter avec les 250 milliards $ (180 milliards €) par an : l’équivalent du PIB portugais !
    La construction de milliers de gigawatts de centrales peu émettrices, de champs d’éoliennes, de réseaux de carboducs (pour véhiculer le CO2 des centrales aux sites d’injection), de dizaines de millions de véhicules sobres seront des sources de création d’emplois. De même que la mise en œuvre des techniques qui permettront de réduire les consommations énergétiques des bâtiments. Autant de richesses en plus pour la collectivité.
    Malheureusement, l’ambition climatique des gouvernements semble avoir fondu aussi vite que la glace d’été arctique. « La faiblesse des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris en vertu de l’accord de Copenhague réduit indubitablement la probabilité de concrétisation de l’objectif de 2°C . Pour l’atteindre, il faudrait une impulsion phénoménale des pouvoirs publics dans le monde entier », résume l’AIE. Une impulsion qui s’est éteinte après le sommet de Copenhague. Si tant est qu’elle n’ait jamais existé.  

     


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